The pharmaceutical industry in the eye of the competition storm – L’industrie pharmaceutique dans l’oeil du cyclone concurrentiel

The pharmaceutical industry is a sector of deep interest for competition authorities. 

The launch of a new sector enquiry was announced by the French Competition authority in November 2017. The French authority wishes to get a clear picture of this particular sector in order to issue recommendations and adjust its policy and strategy, in response to new challenges.

For its part, the European Commission published in July 2017 the results of its public consultation on “evaluation of procedural and jurisdictional aspects of EU merger control”. The Commission recommends the introduction of a new-value based filing threshold under EU merger control law. The current turnover-based threshold does not allow the European Commission to capture deals in the digital and pharmaceutical sectors, where high-value targets generate little if any revenue. Both the principle of such a value-based filing threshold and its application raise questions which will need to be addressed before any further step is taken. 

 

Article publié dans la revue Pharmaceutiques, Marie de Drouas et Christophe Hénin

Les importations parallèles encadrées[1], les barrières à l’entrée des génériques scrutées et condamnées[2], le pay-for-delay stigmatisé[3], enquête sectorielle après enquête sectorielle[4], les autorités de concurrence ne se lassent pas d’embrasser le secteur pharmaceutique.

Il est vrai que le contrôleur public et politique enferme le secteur dans un corset de réglementations et défie, année après année, le régulateur concurrentiel.

Le secteur intrigue, a toujours intrigué, et intriguera encore dans un contexte politique à vif sur le prix des médicaments innovants. Tous les leviers et les instruments de contrôle sont activés pour encadrer le business modèle traditionnel marqué par le cycle de l’autofinancement, modèle affecté par un renchérissement des coûts de recherches de plus en plus aléatoires -– ou pour mieux anticiper l’évolution du modèle par le renfort et l’acquisition d’opérateurs biotech actifs et innovants.

L’Autorité de la concurrence : bis repetita pour une nouvelle enquête sectorielle

Après l’avis du 25 février 2013 relatif à une saisine portant sur le secteur pharmaceutique, le 20 novembre 2017, l’Autorité française de la concurrence revient s’interroger sur le secteur du médicament et de la biologie médicale[5].

Les « terminologies » changent, mais se ressemblent pourtant, quand bien même l’objet de cette enquête sectorielle est élargi au secteur de la biologie médicale. Mais que l’on ne s’y méprenne pas, et l’Autorité l’avoue, « les évolutions continues de ce secteur [l’incitent] à s’y intéresser régulièrement ».

L’Autorité souhaite – encore dirait-on – « faire un nouvel état des lieux de la situation concurrentielle et économique de la chaîne de distribution du médicament et de présenter le cas échéant des recommandations relatives aux intermédiaires », même si sur cette chaîne distributive, aucune modification structurelle ou conjoncturelle n’est à déplorer depuis 2013, date de la dernière enquête sectorielle.

Si, en filigrane, il semble que l’analyse puisse s’orienter plus volontiers vers les médicaments non remboursables, le contre-pouvoir de marché que souhaite voir émerger l’autorité concurrentielle auprès des intermédiaires de la distribution, en amont, interroge et entend devoir s’appliquer à l’ensemble des médicaments, quel que soit leur statut de prescription ou de remboursement.

En aval, si l’Autorité souhaite encore renforcer le « service » des médicaments en ligne, elle s’interrogera plus volontiers sur l’ouverture du monopole officinal – à nouveau – et de façon peut-être plus « innovante » sur la création de chaînes de pharmacies et l’ouverture de leur capital, quand bien même la Cour de justice[6] ait déjà pu considérer que les restrictions obérant l’établissement officinal pouvaient être justifiées afin d’assurer un approvisionnement de la population sûr et de qualité.

Enfin, l’Autorité de la concurrence souhaite s’arrêter et s’interroger sur les arcanes et fonctionnalités de la fixation du prix des médicaments remboursables, en ville comme à l’hôpital (GHS, liste en sus, tarifs de responsabilité), tant pour rémunérer « l’innovation », que pour approcher ou identifier le meilleur prix concurrentiel pour les médicaments en concurrence dans une même classe thérapeutique.

La Commission européenne : pour un contrôle de l’acquisition des « pépites »

Fin juillet 2017, la Commission européenne a publié les résultats de sa consultation sur l’efficacité du contrôle des concentrations dans l’Union européenne[7].

Dans cette consultation, elle suggère notamment d’introduire de nouveaux seuils de concentration, qui lui permettraient de contrôler l’acquisition de « pépites » dont la valorisation est extrêmement élevée et qui, aujourd’hui, lui échappent, faute d’atteindre une dimension européenne.

En effet, les seuils européens de notification étant exprimés uniquement en chiffre d’affaires réalisé, les acquisitions de société qui n’en génèrent pas ou peu au sein de l’Union européenne ne lui sont pas notifiées, même avec un très fort potentiel de marché.

Deux secteurs en particulier sont visés par la Commission : le secteur pharmaceutique et le digital.

S’agissant du secteur pharmaceutique, la Commission s’inquiète d’assister, sans avoir mot dire, à l’acquisition par de grands laboratoires d’entreprises de biotechnologie développant de nouveaux produits particulièrement innovants. Dans sa consultation, la seule opération donnée en exemple comme ayant échappé à son contrôle est l’acquisition par AbbVie de Pharmacyclis pour 21 milliards de dollars. Cette opération a pourtant fait l’objet d’un contrôle aux Etats-Unis par la Federal Trade Commission, qui a finalement considéré qu’elle n’engendrait pas de restrictions de concurrence.

La Commission européenne aimerait pouvoir vérifier que ce type d’opération ne pose pas de problème de concurrence sur les marchés concernés en Europe. Elle souhaiterait, lorsqu’elle estime qu’il existe un risque que l’opération retarde voire stoppe le processus de recherche et développement, afin d’éviter l’apparition d’un nouveau concurrent sur le marché, pouvoir imposer des mesures correctives avant sa réalisation. En effet, dès lors qu’elle est compétente, la Commission peut obtenir de l’acquéreur l’engagement de poursuivre le développement des médicaments innovants postérieurement à l’opération, comme cela a été le cas lors de l’acquisition d’Actelion par Johnson & Johnson[8].

La Commission propose ainsi l’introduction d’un seuil exprimé en valeur de la transaction, qui lui permettrait d’appréhender les acquisitions par les grands laboratoires de biotechs développant des nouvelles molécules prometteuses ou des traitements innovants n’étant pas encore commercialisés et ne générant donc pas encore de chiffre d’affaires.

L’introduction d’un tel seuil ne va pas sans poser de difficultés.

En effet, la notion même de « concentration » est aujourd’hui définie comme le changement de contrôle sur une partie ou l’ensemble d’une entreprise, c’est-à-dire une activité se traduisant par une présence sur un marché et à laquelle un chiffre d’affaires peut être rattaché sans ambiguïté[9]. Bien que la Commission en fasse une application extensive, considérant ainsi qu’un produit pharmaceutique dont les essais cliniques de phase III sont en cours générera un chiffre d’affaires dans un futur proche[10], un seuil en valeur de la transaction pourrait remettre en cause la notion même de « concentration », en faisant entrer dans son champ une activité portant sur des produits qui ne sont qu’en début de stade clinique, voire à un stade préclinique.

Se pose ensuite la question du lien de rattachement suffisant avec le territoire de l’Espace Economique Européen, sur lequel la Commission exerce sa compétence. S’agissant des biotechs n’ayant pas encore commercialisé leurs produits en Europe et n’ayant, par conséquent, aucun client sur le territoire européen, il est difficile de concevoir quel critère pourrait être utilisé pour démontrer un lien de rattachement.

Enfin, cette proposition soulève des interrogations quant à la détermination de la valeur de la transaction : comment et quand doit-elle être appréciée ? Au jour du closing, ou doit-elle englober les éventuels compléments de prix différés ?

L’utilité et la pertinence de l’introduction de ce nouveau seuil posent question. La Fédération européenne des associations et industries pharmaceutiques (EFPIA) met en garde contre les effets pervers d’un tel seuil, car il ralentirait l’investissement dans des innovations capables d’améliorer la vie des patients.

Une proposition de modification du règlement sur les concentrations pourrait avoir lieu dans les prochains mois, sans que l’on sache, à ce jour, si la Commission retiendra ou non l’introduction d’un nouveau seuil en valeur.

Plusieurs Etats Membres, au rang desquels la France[11], phosphorent sur cette question, tandis que d’autres ont déjà passé le pas. L’Allemagne a ainsi été la première à introduire un tel seuil en juin 2017 (pour une valeur de transaction de 400 millions d’euros), suivie par l’Autriche en novembre 2017 (pour une valeur de transaction de 200 millions d’euros). Ce seuil est complété par un critère de rattachement selon lequel la cible doit exercer des activités significatives sur leurs territoires respectifs, ce qui donnera très certainement lieu à de nombreux débats sur son interprétation.

 

* * *

En réalité, le secteur pharmaceutique à lui tout seul est une « pépite », une « pépite rare » où les mécanismes et principes concurrentiels sont bien plus dévoyés par le contrôleur public que par l’activité comportementale de ses opérateurs. C’est sans doute le plus grand sens qu’il faille donner à cette nouvelle enquête sectorielle, même si le nouvel œil porté par le régulateur européen sur l’acquisition des biotechs rappelle également que la concurrence doit pouvoir jouer au niveau de la R&D.

 

[1]     Décisions n°07-D-22 et 07-D-45 des 5 juillet et 13 décembre 2007 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la distribution pharmaceutique.

[2]     Cour de cassation, com., 18 octobre 2016 ; Cour de cassation, com., 11 janvier 2017.

[3]     Décision de la Commission du 10 décembre 2013 C(2013) 8870 final ; Décision de la Commission du 9 juillet 2014 C(2014) 4955 Final ; TPIUE, 8 septembre 2016, Aff.T-472/13.

[4]     Avis n°13-SOA-01 du 25 février 2013 relatif à une saisine d’office pour avis portant sur le secteur de la distribution pharmaceutique ; European Commission, DG COMP, Pharmaceutical Enquiry, Final Report, 8 July 2009.

[5]     Décision n° 17-SOA-01 du 20 novembre 2017 relative à une saisine d’office pour avis portant sur les secteurs du médicament et de la biologie médicale.

[6]     CJUE, 5 décembre 2013, Venturini, Aff.C-159/12 à C-161/12.

[7]    « Consultation on Evaluation of procedural and jurisdictional aspects of EU merger control », publiée sur le site internet de la Commission –   http://ec.europa.eu/competition/consultations/2016_merger_control/index_en.html

[8]     Décision de la commission du 9 juin 2017, Affaire M.8401 J&J / Actelion.

[9]     Communication juridictionnelle codifiée de la Commission concernant le règlement (CE) no 139/2004 du Conseil du 20 janvier 2004 relatif au contrôle des opérations de concentration entre entreprises, point 24.

[10]   Décision de la Commission du 18 décembre 2005, Affaire M.7872 Novartis/GSK (Ofatumumab Autoimmune Indications), point 11.

[11]   Consultation publique du 20 octobre 2017 : « L’Autorité de la concurrence lance une réflexion pour moderniser et simplifier le droit des concentrations ».